Extrait (texte, vidéo, son) du livre Tels des funambules de Souad Fila

Extrait écrit et lu par Souad Fila

Merci à Khalid Essezamis pour la production

(2’16).

“…Nous sommes au début des années quatre-vingt, un repère, celui où je me perds : je décide, je vais partir.

Ce jour arriva encore plus vite que je ne l’avais vu venir.

Un sentiment indescriptible, mais douloureux m’habitait, me déstabilisait, me faisait hésiter.

Je n’étais pas encore partie et tout me manquait déjà : les cris des marchands dans les ruelles étroites, les petites échoppes offrant mille et une sources de vie, de couleurs, d’odeurs et d’épices…

Le souk de Bara, les petits taxis verts, les grands blancs, le bruit de mon monde.

Les jeunes et moins jeunes se promenant, un plateau à la main, pour faire cuire le pain dans nos célèbres fours publics.

Les couturiers, les pâtissiers, les carrosses pleins de victuailles : calienté, houmous, caïmoun…

Et puis, comment dire au revoir aux filles, à mon fils et à ma tendre mère chérie ?

J’allais être clandestine pour combien d’années ? On tait cette vérité, mais on le sait, ce sera pour plusieurs années.»

C’est ainsi que Mouna se raconte au travers de ses souvenirs. On peut presque entendre le bruit de la ville, les ambiances, les moments qui ont compté, qui l’ont conduite un jour ici à Bruxelles.

Son aventure, je vais essayer de vous la raconter le plus fidèlement possible, cette vie qui fut loin d’être un long fleuve tranquille.

Son visage avait de multiples expressions qui semblaient toutes s’exprimer au même moment.

Ses yeux, malgré des rides prononcées, souriaient et portaient en même temps une intense solitude.

Ses yeux laissaient transparaître le vide et, malgré tout, la joie s’y immisçait intensément.

Mouna avait traversé des eaux qui lui semblaient être la frontière entre elle et le bonheur, l’infortune.

Elle pensait qu’une fois l’aisance financière acquise, elle pourrait se séparer de tout ce qui lui manquait, à elle, à ses enfants, à sa famille.

Comme tant d’autres, elle a payé son voyage cher, très très cher.

Mais ce prix ne se définit pas uniquement matériellement, il est aussi séparation d’avec ses quatre enfants et sa mère…”